| 
           
			Chapitre II 
			
			La 
			rencontre avec le Pape 
			
			 La 
			rencontre semble rythmée par un cérémonial huilé et rodé comme s’il 
			était le même depuis toujours.  
			
			Deux 
			valets reçoivent Le Bateleur à l’entrée du temple et le délestent de 
			ses outils, ce qui a pour effet de le déstabiliser. 
			
			- 
			Pourquoi me prendre mes outils ? J’en ai besoin pour faire mon 
			chemin ! De quoi aurai-je l’air avec les mains vides devant le 
			Pape ? 
			
			À ces 
			questions, Le Bateleur ne reçoit aucune réponse. Seuls les regards 
			complices et amusés des deux valets le rassurent, il retrouve les 
			mêmes sensations qu’il connut enfant lorsque l’assistante le 
			préparait avant sa visite chez le médecin. 
			
			Il est 
			maintenant proche de l’entrevue ; du plat de la main il frotte son 
			pantalon afin d’en lisser les plis éventuels, pour sa chemise, il en 
			fait de même mais avec le dos de sa main. Entre le pouce, l’index et 
			le majeur de chaque main, il pince son chapeau pour le centrer et 
			bien contrôler la courbure de celui-ci. Du bout de sa langue il fait 
			juste un petit passage sur les dents pour éliminer toutes miettes 
			incongrues, quelques assouplissements des muscles maxillaires, il 
			étire les joues pour donner au visage une apparence de souplesse 
			naturelle et surtout pour se donner une contenance. Maintenant il se 
			sent prêt à la rencontre. 
			
			
			Impatient, comme d’habitude, il s’approche hardiment de l’entrée du 
			temple comme si le Pape n’attendait que lui. C’est alors que le plus 
			solide des deux valets lui fait barrage tandis que l’autre lui fait 
			signe de s’assoir et d’attendre.  
			
			Après de 
			très longues minutes d’attente, le Bateleur commence à s’inquiéter 
			et surtout à se décomposer. La plastique de son visage commence à se 
			ternir, ses épaules, qu’il porte d’habitude si droites, entament une 
			inclinaison à la pente lourde, avachie. Son dos se courbe et ses 
			mains marquent des mouvements de décontenancement en passant du 
			frottement de la commissure des lèvres au pincement du nez. Puis il 
			remet ses cheveux en place en se grattant le front. Puis, ne tenant 
			plus en place, il commence à se balancer d’une fesse à l’autre en 
			laissant tomber les bras entre ses jambes ne sachant plus comment se 
			tenir. 
			
			Le temps 
			passe encore et encore, voilà maintenant près d’une heure, presque 
			60 minutes qu’il attend, alors qu’aucun signe ne laisse présager 
			d’un prochain mouvement. 
			
			
			Désobligé, il fixe maintenant l’horloge et décide de compter chaque 
			seconde qui passe. 
			
			Après 9 
			minutes, voila enfin un mouvement. L’Hermite apparaît en passent par 
			une porte dérobée, il traverse la pièce jetant juste un regard en 
			arrière pour scruter le Bateleur, les valets et la pièce dans son 
			ensemble ; Puis il entre dans le temple par une autre porte dérobée. 
			
			 À cet 
			instant, le bateleur ne se sent vraiment plus sûr de lui. 
			 
			
			Je 
			suis venu parler de mon avenir et non de mon passé ! 
			se dit-il, qu’est-ce que l’Hermite vient faire ici ? C’est 
			qu’avec lui on n’en a pas encore fini, je risque d’attendre encore 
			longtemps, marmonne-t-il. 
			
			Après 
			quelques secondes d’incompréhension, la paranoïa du jeune novice 
			s’installe et le Bateleur commence à s’imaginer les pires scénarios. 
			
			Il 
			s’imagine qu’il va devoir justifier tous ses échecs, à moins qu’il 
			ne doive rendre des comptes sur quelques actions peu reluisantes de 
			son parcours. Peut-être même que les pensées seront mises dans la 
			balance. A cette idée, Le Bateleur n’y croit plus et commence à 
			regarder la porte de sortie avec la  pensée qu’il pourrait quitter 
			les lieux. 
			
			Encore 9 
			minutes se sont écoulées depuis l’arrivée de l’Hermite, c’est à dire 
			18 minutes depuis que le Bateleur compte le temps qui passe. 
			Maintenant c’est La Lune qui apparaît dans le reflet d’un vitrail, 
			et cette vision provoque une réelle inquiétude chez le Bateleur. 
			
			Je 
			vois que le Pape a fait appel au don de clairvoyance de la Lune,
			
			
			s’inquiète-t-il, qu’a-t-il donc à me reprocher pour faire appel à 
			cette rapporteuse ? Et l’envie de quitter les lieux le prend 
			encore plus fortement.  
			
			Il pense 
			que si le Pape fait appel à la Lune avant de le rencontrer, cela ne 
			lui laisse aucune chance de paraître sous son meilleur jour. 
			 
			
			La Lune a 
			tout de même cette faculté de voir au delà des apparences et surtout 
			d’être le reflet qui permet de voir même dans la nuit.  
			
			Le 
			Bateleur se tortille dans une très inconfortable position, comme 
			s’il avait la tête à l’envers ; Il est  comme tous les mortels 
			raisonnablement équilibrés, il pense ne pas être assez bien pour 
			être absout et reconnu. Il pense que si quelqu’un pouvait se 
			promener dans son subconscient et voir ses parties sombres, lui, 
			petit Bateleur, ne mériterait pas les meilleures appréciations, il 
			pense être un « pauvre pêcheur » méritant châtiment. L’image est 
			forte mais elle est le résultat de l’éducation culpabilisante 
			adoptée par la société bien pensante depuis que les hommes ont 
			confondu parole divine et prise de pouvoir. 
			
			Amer et 
			dépité, il se lève pour se diriger vers la porte de sortie. Cette 
			fois-ci, ce sont les deux valets qui lui font barrage en lui 
			indiquant de regarder l’entrée du temple. Il se retourne donc et 
			voit l’imposante porte du temple, lourdement sculptée dans le bois 
			massif, manœuvrée par deux autres valets qui l’ouvrent lentement 
			vers l’extérieur. 
			
			Il y a 
			quelques secondes à peine, Le Bateleur était dépité sur le point de 
			quitter les lieux, alors que maintenant, il est envahi par une 
			fébrilité galopante à l’idée qu’un acte important de sa vie est 
			peut-être en train de se dérouler en ce moment. Il se demande même 
			si toute cette cérémonie est vraiment pour lui ou s’il ne s’est pas 
			trompé d’heure de rendez-vous !  
			
			Regardant 
			la scène se dérouler devant lui, un détail retient son attention : 
			le valet de droite tire la porte dans la même position que le valet 
			de bâton, il forme une sorte d’équerre avec ses avant-bras,  qui 
			crée un effet d’optique laissant croire que le bras gauche 
			appartient à une autre personne. Puis il remarque que sa coiffe 
			ressemble aussi étrangement à celle du valet de bâton ainsi que la 
			position de ses pieds.  
			
			Regardant 
			le valet de gauche, il croit avoir la berlue. Celui-ci tire la porte 
			dans une position similaire à celle du valet de coupe. Il meut la 
			porte en soutenant la poignée de sa main droite alors qu’il semble 
			tenir une pièce de celle-ci avec sa main gauche qui pend librement 
			le long de son corps. Regardant plus avant, il remarque également 
			que le pantalon est de la même teinte bleue alors que les cheveux 
			sont aussi tenus par une couronne de fleurs bleues.  
			
			
			Attend ! Je rêve ! 
			Se dit-il. Je demande un entretien avec le Pape et voila que 
			toute la smala est présente.  
			
			Pour en 
			être sûr, il scrute les deux premiers valets qui l’ont réceptionné. 
			Cela ne fait aucun doute, ce sont les valets d’épée et de denier, 
			ils sont figés devant l’accès extérieur, les pieds sont à 10h10 et 
			sans regarder devant eux, ils semblent attendre des indications 
			venant de leur droite. 
			
			Cette 
			fois, le doute n’est plus permis, le Bateleur est certain qu’à 
			l’intérieur du temple il retrouvera toute la famille du Tarot.
			 
			
			
			Mince ! Je comprends maintenant l’attente et les chiffres que j’ai 
			relevés. Les 9 minutes de l’Hermite, La Lune à la 18ème 
			minute ; et les presque 60 minutes étaient en réalité 59 minutes.
			 
			
			18 
			minutes + les 59 initiales = 77, + moi-même, Le Bateleur, cela fait 
			78 : le nombre de membres de notre grande famille marseillaise du 
			Tarot.  
			
			Jusqu’à 
			présent, Le Bateleur ne faisait que se produire devant un public de 
			gens qu’il ne connaissait pas, il présentait ses spectacles de force 
			pure et d’habileté ; du cracheur de feu à Monsieur muscle uniquement 
			à des inconnus. Il leur proposait tous ses numéros impressionnants 
			ne demandant aucune logistique et pouvant être présentés à la criée 
			dans la rue, seuls un peu d’habileté et de culot lui suffisaient, 
			juste ce qu’il faut pour que les gens lui donnent quelques 
			piécettes. Mais il n’avait jamais eu l’occasion de se présenter ou 
			de parler devant un public de proches, il avait encore moins eu à 
			parler de lui devant autant de monde.  
			
			
			Certainement que tout le monde est informé de mon entrevue, 
			se dit-il inquiet, le pire serait encore que tous assistent à 
			l’entretien. 
			
			
			Aujourd’hui, c’est différent, il découvre une nouvelle émotion qu’il 
			ne connaissait pas jusqu’ici : le trac. A présent, il saisit la 
			distinction qu’il convient de faire entre le trac et l’incertitude, 
			ou l’hésitation, qui sont si souvent présentes en lui. Il comprend 
			enfin ce fossé qui existe entre ces deux émotions qui sont 
			diamétralement opposées et qui pourtant pourraient toutes deux lui 
			appartenir.  
			
			Parmi ces 
			différences, l’incertitude est le reflet d’un manque, manque 
			d’assurance ou de conviction, alors que le trac est un reflet 
			proportionnel à l’engagement et à la responsabilité face à 
			l’événement. 
			
			C’est le 
			bateleur lui-même qui a demandé cette entrevue, c’est lui-même qui a 
			décidé d’évoluer, en faisant cette demande, il se sent également 
			prêt à grandir, donc c’est bien le trac qui l’habite en ce moment.
			 
			
			Les 
			portes sont maintenant totalement ouvertes et les valets lui font 
			signe d’avancer. 
			
			Il 
			s’exécute et entre lentement dans le temple pour découvrir une vaste 
			pièce aux dimensions impressionnantes. L’éclairage est un halo de 
			lumière semblant jaillir de nulle part, à moins que ce ne soit de 
			partout. Les ombres sont inexistantes, mais les dorures du décor 
			brillent de tout leur éclat. Devant lui se déroule un tapis ocre 
			ouvrant une allée si longue que seule l’idée de la parcourir le fait 
			trébucher tant il est impressionné. 
			
			Les 
			énormes pavés recouvrant le sol représentent les Arcanes numérotés 
			des deniers et des bâtons. Les parois et le plafond sont constitués 
			des Arcanes numérotés des coupes et des épées.  
			
			Douze 
			sièges longent l’allée en deux rangées de six, ils sont occupés par 
			les Arcanes de la cour, Rosy, Reines et Cavaliers : deniers et 
			bâtons à droite, épées et coupes à gauche.  
			
			Au centre 
			de l’allée, à l’extrémité du tapis, se dresse un gradin avec 21 
			alcôves d’une sobriété rare présentées en trois rangées de sept. Ces 
			alcôves sont faites d’un cadre rectangulaire contenant des décors 
			partiels, le tout sur un fond blanc. 
			
			 À 
			gauche, légèrement à l’écart, une 22ème alcôve encadre le 
			lieu alors qu’à droite, en léger retrait, nous voyons un banc de 
			pierre sans décor ni aucun dossier. 
			
			 Le 
			Bateleur avance toujours plus lentement, il commence à hésiter dans 
			sa démarche ne sachant pas s’il doit attendre ou continuer jusqu’à 
			la fin du tapis. Il s’arrête soudain car il perçoit des mouvements 
			autour de lui.  
			
			Venant de 
			partout, les Arcanes Majeurs apparaissent et avancent 
			silencieusement pour prendre chacun sa place dans son alcôve. Il 
			observe la scène avec étonnement et s’amuse même de voir certains 
			Arcanes comme il ne les a jamais imaginés. 
			
			Cela 
			devient complètement irréel, les personnages des Arcanes sont 
			vivants certes, mais dans leur déplacement ils n’apparaissent pas 
			forcément comme leur icône.  
			
			La Maison 
			Dieu par exemple, elle est portée par les deux bonshommes qui 
			transportent et posent minutieusement chaque élément à sa place.
			 
			
			La Lune 
			semble faire de l’illusionnisme car elle apparaît par petite zone 
			directement dans son alcôve au 3ème niveau.  
			
			Le Pendu, 
			quant à lui, se rend de son propre chef dans son cadre, en se 
			déplaçant sur ses deux jambes et portant lui-même la corde et la 
			potence. Et dire que j’avais de la peine à le croire lorsque le 
			pendu me disait être dans cette position de sa propre volonté, 
			se dit-il. 
			
			Les 
			enfants du Soleil courent rejoindre leur place et se réchauffent 
			mutuellement en attendant la venue de l’astre. 
			
			L’Étoile 
			avance en chantonnant « à la claire fontaine », pour seul vêtement, 
			elle porte un paréo diaphane la rendant follement désirable. Elle 
			étreint contre son corps ses deux jarres comme si elle y avait 
			déversé toute son affection.  
			
			
			Tempérance arrive par les airs et survole tout ce monde pour 
			s’enquérir de leur état et d’un éventuel besoin d’assistance. 
			
			La 
			Papesse apparaît venant de derrière le rideau du temple, elle semble 
			se cacher comme si elle était gênée que l’on puisse la voir 
			autrement qu’assise dans son cadre. 
			
			
			L’Empereur, sûr de lui, avance accompagné de son Impératrice, il 
			regarde loin devant pendant que l’impératrice scrute les lieux et 
			s’enquière de la présence de chacun. 
			
			Le 
			Chariot arrive dans un bruit fracassant en faisant hennir ses 
			juments. Il émane de lui un bouillonnement extraordinaire et son 
			impatience de repartir en campagne n’a nul besoin d’être précisée. 
			
			L’Arcane 
			Sans Nom glisse sur le sol dans un pas si feutré que son arrivée 
			paraît totalement impromptue. Comme il n’a rien à faire pour 
			l’instant, il se pose proche de sa place et aiguise sa lame afin 
			d’être prêt.  
			
			La Force 
			se présente en promenant son lion, il est si bien dompté qu’il la 
			suit comme un toutou sa maîtresse. Elle ne manque pas au passage 
			d’envoyer un regard séducteur au Bateleur qui en se moment ne 
			parvient même pas à lui rendre sont clin d’œil. 
			
			La Roue 
			de Fortune est mue par le singe et la chimère et ceci sous le 
			contrôle du sphinx qui ne parvient jamais à se libérer de son rôle. 
			Il agit comme si lui-même n’avait pas la réponse à ses questions. 
			
			Le Monde 
			semble ne pas s’être absenté, c’est comme s’il avait toujours été à 
			cette place. 
			
			Alors que 
			le couple du Jugement termine de déballer un immense carton duquel 
			on commence à voir pointer une trompette, quelques nuages, des ailes 
			d’ange et une chevelure bleue.  
			
			 Le Pape 
			arrive enfin et se pause directement dans son alcôve sans même 
			regarder ni le Bateleur, ni l’assistance. 
			
			Puis, 
			arrive l’Hermite, en retard comme toujours, nonchalant, un peu 
			essoufflé et toujours avec cette manie de regarder derrière. 
			
			
			 Chaque alcôve étant maintenant occupée, je vais enfin savoir de 
			quoi il en retourne, 
			je vais enfin pouvoir faire appel aux conseils du Pape, même si 
			cela n’est pas aussi intime que je l’aurais souhaité. 
			
			 La 
			concentration et la préparation de chacun est perceptible, chaque 
			Arcane contrôle encore bien sa posture, fait des petits mouvements 
			de décontraction, respire bien, comme pour la pause avant la photo. 
			Puis, comme par magie, aussitôt que l’Arcane est
			en position, il se métamorphose pour 
			passer de son enveloppe charnelle à son icône. 
			
			Le 
			Bateleur est tétanisé devant cette scène ; Voila des années qu’il 
			fréquente tout ce monde et jamais il ne l’avait vu aussi vivant. Il 
			se demande même ce qu’il n’a pas fait pour avoir manqué cette 
			dimension de leur existence. 
			
			 Après quelques 
			secondes de recueillement commun, l’alcôve du Pape s’ébranle et 
			s’avance légèrement. Avec ce mouvement, le Pape prend la présidence 
			de la séance alors que les autres Arcanes deviennent ses assesseurs. 
			
			 Le trac du Bateleur 
			est à son comble, il sait, il sent, l’importance de l’instant bien 
			qu’il n’en connaisse toujours pas la raison. Il avait juste demandé 
			une entrevue pour l’aider à comprendre ses problèmes relationnels. 
			Et voila qu’il se retrouve le spectateur d’un rituel aux aspects 
			initiatiques dans lequel il pourrait bien en être le sujet, voire 
			même la cause. 
			
			Après quelques 
			interminables secondes de silence, ne tenant plus en place le 
			Bateleur se lance. 
			
			 B.    
			Sa sainteté ! J’ai sollicité cette entrevue car j’ai 
			…………  
			
			Le Pape lui coupe la 
			parole dans un ton bienveillant. 
			  
			
			P.   
			Encore la désobligeante habitude de parler quand il faut se taire !  
			
			-        
			
			Heuuuu…….  
			
			-        
			
			Le 
			silence, connais-tu le silence et ses vertus ?  
			
			-        
			
			Heuuuu…….  
			
			-        
			
			C’est bien 
			ce que je pensais, tu ne les connais pas !  
			
			-        
			
			Mais je 
			n’ai rien dit !  
			
			-        
			
			Tu as dit 
			« Heuuuu.. » et dans le silence c’est beaucoup trop.  
			
			-        
			
			Je ne 
			comprends pas !  
			
			-        
			
			Penses-tu 
			exister par la place que tu occupes, ou par ton être et sa 
			vibration.   
			
			D’un ton légèrement 
			hésitant Le Bateleur répond :  
			
			-        
			
			J’existe 
			parce que je pense, je ressens et j’agis.  
			
			Avec toujours autant de 
			bienveillance le pape répond ;  
			
			-        
			
			Bien ! 
			Alors tu es capable de comprendre que lorsque tu dis « Heuuuu.. » tu 
			occupes un espace sonore, donc tu troubles le silence qui est 
			l’essence même de tout dialogue.  
			
			Le Bateleur, sur un ton 
			presque moqueur ;  
			
			-        
			
			Si je 
			vous comprends bien, vous me dites que c’est par le silence qu’on 
			peut se parler ?-        
			
			  
			
			Avec encore plus de 
			chaleur le Pape reprend ;  
			
			-        
			
			Non jeune 
			homme, pas se parler, mais « se comprendre ! » n’est-ce pas le but 
			d’un  dialogue ?  
			
			Cette fois Le Bateleur 
			se tait car il se rend compte, sans encore en saisir tout le sens, 
			qu’un enseignement très important accompagne cette réponse. 
			
			Après ce bref instant 
			d’un silence particulièrement intense le Pape reprend avec douceur ;  
			
			-        
			
			Bien, 
			jeune homme ! Tu comprends vite ! Alors retiens ces quelques mots, 
			ils te seront salutaires ; 
			« Dans le silence on n’entend que l’essentiel »  
			
			Ces quelques mots sont 
			immédiatement suivis d’un long silence durant lequel le cerveau du 
			Bateleur bouillonne d’activité. Il revisite sa mémoire et passe en 
			revue toutes les situations dans lesquelles il aurait pu changer son 
			histoire s’il avait su se taire. Devant ce constat, Le Bateleur est 
			impressionné par le nombre de bourdes qu’il aurait pu éviter s’il 
			avait tout simplement pris le temps de comprendre avant de parler. 
			
			Le bateleur reprend ;  
			
			-        
			
			Ce 
			silence, doit-il être long pour comprendre ?  
			
			Amusé par autant de 
			candeur, Le Pape répond.  
			
			-        
			
			Si ce que 
			tu as à dire contient beaucoup d’informations et implique
			d’importantes conséquences, tu parleras 
			plus longtemps que si tu n’as qu’une légère information à 
			transmettre ! Non ? le principe est le même pour la compréhension !  
			
			Devant cette évidence, 
			Le Bateleur se sent tellement penaud qu’il a la désagréable 
			sensation d’avoir pausé une question tellement idiote qu’il 
			mériterait d’être recalé à n’importe quel examen. 
			
			Voyant son désarroi, le 
			pape vient à son secours.  
			
			-        
			
			Ne sois 
			pas gêné, c’est souvent par des paroles simples que les plus grands 
			enseignements nous atteignent.  
			
			Silence………………  
			
			-        
			
			Bien 
			Bateleur ! tu as sollicité cet entretien parce que tu connais de 
			grandes difficultés relationnelles, m’as-tu dit ! Pour reprendre tes 
			mots ; Tu es dans la quasi impossibilité de t’affirmer dans ce que 
			tu sais pourtant bien faire ! 
			
			A ces mots, Le Bateleur 
			regarde bien autour de lui et se demande à nouveau pourquoi tout ce 
			monde est là.   
			
			-        
			
			Oui, 
			c’est bien mon souci en ce moment et j’ai vraiment besoin de vos 
			conseils ; mais pourquoi tout le monde est-il présent ? 
			  
			
			-        
			
			Je 
			pourrais te dire que c’est pour fêter ta demande d’aide ; 
			l’événement est à marquer d’une pierre blanche. Je pourrais 
			également dire que c’est parce que nous sommes à l’équinoxe de 
			printemps, à moins que ce ne soit l’occasion pour tous de te voir 
			grandir.  
			
			-        
			
			Vois-tu ! 
			Si tous les Arcanes sont présents, c’est parce que cette journée est 
			des plus importantes autant pour toi que pour nous tous. 
			  
			
			-        
			
			
			Importante, pourquoi ? je voulais juste quelques conseils !  
			
			Un long silence 
			s’installe, silence que le Pape entretient par de lents mouvements 
			de tête comme s’il battait la cadence d’une musique céleste. 
			
			Le Bateleur entre dans 
			la magie du silence et son esprit entame la transformation de ses 
			perceptions. Il ne pense plus à corriger ses erreurs, il ne sait pas 
			exactement ce qu’il se passe mais quelque chose est en train de 
			s’installer.  
			
			« Il ne sert à rien de 
			vouloir corriger les erreurs récurrentes, le but étant de ne plus 
			les commettre ».   
			
			Cette réflexion sur les 
			erreurs l’incite à mieux regarder la photo de famille et les 
			alcôves, il remarque alors l’absence du Diable, de la Justice, du 
			Mat et, bien entendu, de lui-même. Les alcôves sont présentes mais 
			vides.  
			
			Regardant mieux 
			alentours il remarque que le Mat s’est placé dans l’alcôve de gauche 
			prêt à avancer sur son chemin. Machinalement il regarde à droite 
			comme si l’équilibre des placements de personnes allait de soi. 
			Effectivement, il découvre que la Justice s’est assise en 
			observatrice sur le banc de pierre placé à droite de la scène.
			 
			
			Tout aussi 
			machinalement, il cherche le diable et se rend alors compte qu’il 
			n’est nulle part.  
			
			-        
			
			Mais où 
			est le diable ? Pourquoi n’est-il pas là ? 
			Demande le Bateleur. 
			
			-    
			Te manque-t-il tant que ça ?  
			
			-        
			
			Non, 
			mais je suis tellement habitué à m’en défendre que son absence me 
			trouble.  
			
			-        
			
			Sache que 
			son absence n’est qu’illusion, car dans la réalité il n’est pas du 
			genre à lâcher ses proies. Seul le fait d’y penser ou d’en parler 
			suggère sa présence ; mais tu as raison, il ne siège pas à sa place 
			habituelle.   
			
			-        
			
			Ici, à 
			l’intérieur, du Temple, il se cache derrière des visages aux traits 
			angéliques, ici dans le saint des saints, ici dans le monde du Divin 
			il se mimétise dans toutes les formes imaginables. Il y met 
			d’ailleurs tellement d’énergie qu’on le reconnaît grâce à ses excès, 
			car même quand il joue les bons et généreux il tombe dans l’excès.  
			  
			
			-        
			
			Pour la 
			photo de famille, nous avons gardé son emplacement et son effigie 
			dans le mandala, c’est suffisant ; mais en tant que « Grand 
			Contradicteur », il est normal qu’il ne siège pas ici, il a bien 
			assez de place à l’extérieur avec les gargouilles, et ne te fais pas 
			de souci pour lui, il saura bien assez tôt se rappeler à ton 
			souvenir, même à ton insu !  
			
			-        
			
			Mais je 
			vis dans le bien, j’ai chassé le mal autour de moi, je suis devenu 
			quelqu'un de bon, je l’ai vaincu. Il ne peut donc plus m’atteindre.  
			
			Durant tout l’entretien 
			le Papa s’était incliné vers le Bateleur, son buste marquait une 
			légère inclinaison en direction de celui-ci, tant l’élève semblait 
			comprendre rapidement. 
			
			À cet élan de bravoure 
			le Pape a un léger mouvement de recul en s’adossant sur son siège. 
			Son regard est mi figue - mi raisin, ou mi dépit - mi amusement.  
			
			-        
			
			Es-tu 
			vraiment certain de l’avoir vaincu ? 
			  
			
			Le Bateleur reste sans 
			voix tant il comprend rapidement la portée de cette question, il se 
			prépare d’ailleurs à entendre la suite, car Le Pape semble bien 
			parti pour çà.  
			
			-        
			
			Tu sais 
			qu’il est le champion du déguisement et du camouflage, c’est même 
			son sport favori, il adore pénétrer les âmes saines. 
			Sa ruse la plus efficace est de te laisser croire à son absence, 
			même à sa défaite. Crois-moi, s’il n’était pas le pervers que l’on 
			connaît, je t’inviterais à apprendre de lui la détermination et 
			l’ingéniosité créatrice.  
			
			Après un court silence 
			permettant au Bateleur d’intégrer ses paroles, le Pape reprend :  
			
			-        
			
			Lorsque tu 
			es en colère et que tu maudis les personnes qui te trahissent, 
			crois-tu être guidé par ta part lumineuse ?  
			
			-        
			
			Lorsque tu 
			es envahi de pensées lubriques, penses-tu que ce soit un ange qui 
			parle en toi. 
			  
			
			-        
			
			Non ! 
			Bien sûr que c’est une partie animale de moi qui parle dans ces 
			moments, mais je ne fais de mal à personne.  
			
			-        
			
			Tu fais du 
			mal à toi-même, et tu es quelqu’un que je sache. 
			Et cesse de penser que c’est ta partie animale, les animaux ne sont 
			ni colériques ni lubriques ni toutes les autres émotions lourdes que 
			l’homme génère avec son ego. 
			C’est ta partie sombre de l’humain qui parle dans ces moments là et 
			c’est le terrain du Diable.  
			
			-        
			
			Vu sous 
			cet angle……….. je n’ai rien à dire,
			rétorque le 
			Bateleur  
			
			Le Bateleur devenant 
			impertinent, le Pape décide de l’aider en ne le poussant pas dans 
			les pièges qu’il se tend à lui-même avec son impudence, l’épreuve 
			serait bien trop difficile pour le Bateleur à ce stade de son 
			initiation.   
			
			-        
			
			Fais 
			attention à toi et tes réflexes de jeune premier, ton entêtement à 
			vouloir le dernier mot, fait de toi un effronté plus qu’un initié.
			 
			Le moment venu, une des prochaines fois où le Diable parviendra à 
			nouveau à te piéger, ton ange te le rappellera par une tape sur ton 
			épaule, cette tape te sera donnée par Tempérance. 
			Maintenant je ne veux pas discutailler plus avant avec toi, venons 
			en à la vraie raison de notre présence ici, toi et nous. 
			  
			
			A ces mots, le Bateleur 
			se sent à nouveau envahi par le trac et le vertige. Il a beau 
			occuper le terrain et se donner une contenance en parlant 
			inutilement, l’heure est importante et la présence de tout le monde 
			lui rappelle assez clairement qu’il s’agit ici d’une cérémonie 
			cruciale dont il est peut-être le sujet. 
			
			Le Pape reprend 
			immédiatement la parole, car le moment est idéal pour que le 
			Bateleur prenne enfin conscience de la nécessité pour lui de 
			grandir.  
			
			-        
			
			Tu viens 
			de nous faire une démonstration de ta fougue et même de ton aplomb, 
			mais nous allons parler maintenant de ton devenir et de ton aptitude 
			à entrer dans ta vie d’adulte  
			
			Comme l’exprime 
			parfaitement l’expression populaire, ces paroles projettent le 
			Bateleur dans les cordages (du ring). Sonné par ce qu’il vient 
			d’entendre, (son aptitude à entrer dans sa vie d’adulte !) Cela sous 
			entend clairement qu’il ne l’est pas !  
			
			Aïe ! que ça fait mal à 
			entendre, lui qui pensait être devenu un homme, un vrai !  
			
			Le Pape cache 
			difficilement son amusement devant les pirouettes mentales que le 
			Bateleur accomplit pour ne pas perdre pied. 
			  
			
			-        
			
			Oui 
			Bateleur ! Nous allons maintenant parler de ton évolution, de ton 
			émancipation ! Il est temps pour toi de grandir afin que tu puisses 
			à l’avenir affronter en toute confiance la vie en société. Tu as 
			besoin maintenant d’expérimenter la mouvance de la vie et de 
			l’appréhender en toutes circonstances.  
			
			-        
			
			Sa 
			sainteté me perturbe par ses propos, je suis jeune, mon avenir est 
			devant moi, je suis autonome, je me nourris d’espoir et j’ai 
			expérimenté tous les Arcanes ; Que faire de plus ?  
			
			-        
			
			Durant 
			tout ton parcours de Bateleur tu as appris à faire les choses comme 
			on te les a apprises.  
			Tu dois maintenant apprendre à faire les choses par toi-même, selon 
			tes inspirations et surtout tu dois apprendre à être toi-même.
			  
			
			Le Bateleur baisse les 
			yeux et s’intériorise. Il tente de comprendre ce qui est en train de 
			lui arriver et le tournis le reprend.  
			
			Instinctivement il sait 
			ce qui est en train de se produire, il en a même rêvé, mais il ne 
			l’avait pas imaginé comme cela.  
			
			Oui, il est en train de 
			s’émanciper, de s’affranchir de sa condition d’éternel jeune homme.  
			
			Le concept de son 
			émancipation le pénètre comme la brume envahit la campagne, 
			tranquillement, sûrement, en baignant chaque centimètre carré, qu’il 
			soit au sol ou dans les airs. 
			  
			
			-        
			
			Comment 
			dois-je m’y prendre ? Que puis-je faire ? 
			
			-        
			
			Si je te 
			le dis, cela ne servira à rien ! tu dois le trouver au fond de toi.  
			
			Bien que dites avec 
			beaucoup de douceur, ces paroles ont une résonnance terrifiante pour 
			le Bateleur qui vit là un grand moment de solitude.  
			
			Il visualise un chemin 
			désert qui s’ouvre devant lui et la certitude qu’il va devoir le 
			parcourir seul.  
			
			Devant un tel désarroi, 
			le Pape vient à nouveau à son secours 
			
			-        
			
			Prends un 
			bâton de pèlerin et marche sur le chemin qui s’ouvre devant toi. 
			Lorsque tu auras commencé ton pèlerinage, seule ta destination te 
			sera connue.  
			Pour le reste tu vas apprendre à vivre la vie comme elle se 
			présente, à accueillir les gens sans les juger,  à accepter ce que 
			tu es sans te juger.  
			
			-        
			
			Et il me 
			suffira de marcher pour comprendre ?  
			
			-        
			
			Jusqu’ici 
			tu as appris à faire les choses de façon juste sans vraiment te 
			préoccuper de l’aboutissement ; alors maintenant tu vas faire le 
			contraire. Sache où tu veux aboutir pour le bien de ton âme, si tu 
			le fais dans l’acceptation, le chemin te mèneras vers les 
			expériences bonnes à ton Âme.  
			
			-        
			
			
			J’entends, mais qui sera mon maître ? Qui pourra me guider et me 
			corriger si nécessaire ?  
			
			-          
			
			Personne 
			d’autre que toi !  
			Dès à présent  tu t’en remets au Divin qui est en toi.  
			Prétendrais-tu suivre un précepteur plus efficient que le Divin ?  
			
			-        
			
			Heuuuu 
			non !  
			
			-        
			
			Bien ! 
			Maintenant nous te laissons avec le Mat, il te donnera ton bourdon, 
			ta besace et ta pèlerine, puis il te transmettra tout ce que tu dois 
			savoir pour intégrer ton nouveau personnage.  
			Dès demain tu porteras sur toi les attributs du Mat, et tu n’auras 
			d’autre but que celui de devenir Mat à ton tour et d’atteindre les 
			buts de vie qui sont ceux d’un véritable Mat, ton nouveau chemin 
			sera celui de ton Âme.  
			
			 
			
			Comme le Mat a déjà accompli son pèlerinage, il pourra, avant de 
			rejoindre son prochain cycle, te donner les indications nécessaires 
			pour démarrer sur ta nouvelle route.   
			
			-        
			
			Va !  
			
			Il se rend compte à 
			l’instant que tout cet entretien s’est déroulé sous le regard de 
			tous les Arcanes et celui encore plus attentif de la Justice. Elle 
			n’a pas perdu une seconde de leurs échanges et regarde la scène avec 
			l’œil placide de celle qui acquiesce sans aucune réserve. 
			
			Cette fois, les dès 
			sont jetés, comme si les dés de la table du Bateleur étaient une 
			prémonition. 
			
			Alors qu’il se 
			ressaisit et rassemble toute ses forces pour faire face à cette 
			nouvelle vie qui s’ouvre devant lui, il ne voit pas que tous les 
			participants à la cérémonie se recueillent et entrent dans une 
			méditation commune. Tous les Arcanes rassemblent leurs énergies pour 
			permettre la naissance du nouvel égrégore qui accompagnera le 
			nouveau Mat de leur Grande Famille.   
			
			Tous les Arcanes, 
			Chariot en tête, rejoignent maintenant la Maison Dieu pour fêter 
			l’événement. C’est la libération, le jeune homme devient homme, il 
			peut maintenant lâcher ses peurs, se libérer de son rôle de 1er 
			de la classe pour entrer dans le monde réel de l’improvisation 
			créatrice. 
			
			C’est l’ambiance 
			champagne et pendant que tous (ou presque) se congratulent sur la 
			victoire de leur jeune premier, le Mat et le Bateleur se retirent 
			pour procéder à la passation de rôle.  
			
			Dès cet instant, le 
			Bateleur ne reparaîtra plus sous ses traits actuels mais reviendra 
			dans sa nouvelle pèlerine de Mat, même si des souvenirs de Bateleur 
			seront certainement encore présents dans son esprit…  
			
			Le Mat d’aujourd’hui 
			continuera sa route sur un autre plan, dans son nouveau cycle.
			 
			
			Le Bateleur qui 
			reparaîtra sera un nouveau jeune homme qui apportera avec lui tout 
			son enthousiasme et sa volonté d’apprendre. 
			
			.      
			 
			
			<<Page précédente 
			<< 
			
			>>Page suivante >> 
			Textes de 
			Giovanni David Valente   Tout droit réservé 
			   |